Un oiseau qui tourne au speed
Les colibris forment une famille d’environ 340 espèces. Leur taille varie entre 2 et 20cm environ, et leur poids entre 2 et 20 grammes (plutôt facile à retenir!).
Mais ce n’est pas leur petite taille qui les empêche de faire de grandes choses, bien au contraire! Certains oiseaux-mouches réalisent des migrations surprenantes pour leur taille, comme le colibri à gorge rubis qui traverse le Golfe du Mexique sans pause, soit un trajet de plus de 1000km! [1]
Ces petits oiseaux battent des ailes à une allure folle : entre 10 et 80 battements par minutes, ce qui génère un vrombissement très caractéristique. Ce sont aussi les seuls oiseaux capables de voler en marche arrière [2].
Pour oxygéner efficacement leur corps, le cœur des colibris bat lui aussi à un rythme de folie : jusqu’à 1260 battements par minute chez le colibri à gorge bleue, soit environ 20 fois plus vite que votre cœur au moment où vous lisez ces lignes! [3]
Le carburant des colibris
Pour faire tourner la machine, le colibri a intérêt à avoir un métabolisme efficace. Et c’est le cas : le métabolisme des colibris est le plus rapide de tous les vertébrés [4].
Les petits oiseaux satisfont leur demande gargantuesque en énergie presque exclusivement en se nourrissant du sucre qu’ils trouvent dans le nectar des fleurs [5].
Le nectar, vous le savez, c’est cette boisson complètement addictive que les plantes à fleurs ont développée pour attirer toutes sortes d’animaux (insectes, oiseaux, petits mammifères), qui participent alors sans s’en rendre compte à la pollinisation de la plante. Les abeilles butineuses le transforment en miel par évaporations successives.
Seulement voilà, les colibris ont besoin de se nourrir plusieurs fois toutes les heures pour satisfaire leurs besoins. Ils doivent donc se souvenir des fleurs qu’ils ont précédemment vidées, où, et quand, afin de s’épargner des aller-retours inutiles et optimiser leurs dépenses en énergie.
La mémoire des colibris mise à l’épreuve
Afin de déterminer avec quelle précision les colibris sont capables de mémoriser les fleurs qu’ils ont déjà visitées, des chercheurs ont réalisé en 2006 une petite expérience avec des colibris roux [6].
Ils ont construit un panneau contenant 8 fleurs artificielles remplies d’une solution de saccharose, qu’ils ont placé sur les territoires de 3 colibris roux mâles sauvages, entre 8h et 20h, durant plusieurs journées consécutives.
Ces fleurs artificielles consistaient simplement en une rondelle de carton plantée dans un bouchon de liège par un embout de seringue dans lequel les chercheurs déposaient le liquide sucré, le tout attaché à une longue tige.
Dans la nature, les fleurs mettent un peu de temps à refaire leur stock de nectar. Certaines vont plus vite que d’autres.
Pour simuler ça, les chercheurs ont choisi au hasard 4 fleurs du panneau, qu’ils rechargeaient en liquide sucré 10 minutes après chaque visite des colibris. Les 4 fleurs restantes du panneau n’étaient rechargées par les chercheurs qu’au bout de 20 minutes.
Les résultats
Les scientifiques ont observé et mesuré quelles fleurs étaient visitées par les 3 colibris, ainsi que les intervalles de temps séparant deux visites consécutives à une même fleur.
Et on peut dire que les poids-plumes se sont plutôt bien débrouillé.
Les colibris ont appris que la vitesse de renouvellement du nectar variait selon les fleurs. On constate en effet que les oiseaux retournent inspecter les fleurs ’10 min’ bien plus tôt que les fleurs ’20 min”.
D’ailleurs, les oiseaux retiennent vraiment l’emplacement des fleurs, et ne se basent pas sur la couleur, la forme ou sur une disposition particulière des celles-ci (ces paramètres étaient randomisés dans l’expérience).
De plus, les colibris ont mémorisé la durée de renouvellement du nectar. Ils attendent la durée correspondante avant de venir boire de nouveau le liquide sucré, même quand ils passent de nouveau à proximité. Ils savent donc que la fleur n’est pas encore rechargée, sans avoir besoin de venir l’inspecter.
Les colibris distinguent les fleurs ’10 min’ des fleurs ’20 min’, et se souviennent bien quelles fleurs en particulier ils ont visitées récemment. En faisant le compte, les fleurs ’10 min’ ont été bien plus visitées que les fleurs ’20 min’.
Mémoire épisodique, kezako?
Les philosophes, psychologues, et neurologues sont d’accord pour dire qu’il existe 3 types de mémoire à long terme[7].
- La mémoire procédurale, qui correspond au savoir-faire, et est liée au comportement.
- La mémoire sémantique, qui correspond aux faits. Vous savez par exemple que Paris est la capitale de la France – enfin j’espère.
- La mémoire épisodique, qui est la mémoire des évènements vécus dans le passés, c’est à dire qui constitue l’ensemble de vos souvenirs. Ils sont de type “quoi-où-quand”.
Le sujet de l’existence d’une mémoire épisodique chez les animaux non-humains fait encore débat au sein de la communauté scientifique.
Probablement parce qu’une telle mémoire implique de posséder la capacité à effectuer un voyage mental dans ses souvenirs, et à posséder ce que l’on appelle la conscience autonoétique, c’est à dire la conscience de sa propre identité dans un temps subjectif, via des souvenirs qui ne sont ni des perceptions, ni des rêves, ni de l’imagination.
Et c’est pas le genre de truc qui est facile à démontrer scientifiquement.
Le terme de mémoire quasi-épisodique a été créé pour éviter le débat, et désigner le type de mémoire chez les animaux du type “quoi-où-quand”, sans pour autant se prononcer sur la question de l’expérience subjective du souvenir.
Conclusion sur la mémoire des colibris
Cette étude montre que les colibris semblent capables de générer des souvenirs de type quoi-où-quand (quelle fleur a été bue, à quel endroit, et à quel moment dans le passé).
À l’image des geais buissonniers capables de mémoriser les emplacements de leurs cachettes après de longues durées [8], les colibris posséderaient une mémoire (quasi) épisodique.
Bien pratique quand vous passez vos journées à chercher des fleurs à siroter !