C’est quoi un hareng déjà ?
Les harengs sont des poissons de taille relativement réduite, dont les deux principales espèces sont le hareng Atlantique et le hareng Pacifique (je vous laisse deviner leurs répartitions géographiques respectives).
Ils mesure en moyenne 25-30cm de long à l’âge adulte, pour un poids d’environ 1kg. Demandez à un enfant de vous dessiner un poisson et de le colorier en gris argenté, et vous aurez un portait robot du spécimen.
LC : Préoccupation mineure
Une histoire de bulles…
À la fin des années 80, Thorne et Thomas utilisent des outils de mesures hydroacoustiques [1] et montrent que les harengs produisent pour on ne sait quelle raison des bulles d’air, en particulier lors de leurs déplacements verticaux dans la colonne d’eau, entre la surface et une centaine de mètres de profondeur.
Ils émettent deux hypothèses : soit le gaz est issu du processus de fermentation dans les intestins des poissons, soit ce sont ces derniers qui viennent le gober à la surface avant d’entamer leur descente.
Quelques années plus tard, nous sommes en 1998. Plutôt que de regarder le foot à la télé, Leif Nøttestad planche sur sa thèse à l’université de Bergen, en Norvège. Il décrit avec plus de précision les mystérieuses bulles par des observations visuelles et acoustiques, jusqu’à une trentaine de mètres de profondeurs.
En particulier lors d’attaques de prédateurs comme les orques. Nøttestad confirme que les bulles proviennent de la vessie natatoire des poissons, en quantité telle que la mer se couvre parfois d’écume sur sa surface. [2]
Pourquoi une telle production?
Une hypothèse est que les orques pousseraient les harengs à remonter près de la surface, afin de pouvoir plus facilement les piéger et les attraper (notez que c’est pas le genre de technique qui marcherait avec des poissons-volants). Avec la remontée, la pression de l’eau diminue, et les harengs relâcheraient une partie de l’air stockée dans leurs vessies natatoire pour compenser.
Les bulles pourraient jouer un rôle supplémentaire, en perturbant les prédateurs en créant une multitude de reflets lumineux sous l’eau, en diminuant aussi la visibilité, et en créant une sorte de brouillage sonore.
En plus, on peut imaginer que dans le feu de l’action, il peut être difficile de distinguer les harengs des bulles qui les entourent.
La guerre des orques
En 2002, Wilson vient soutenir l’idée que les harengs réagissent d’une façon ou d’une autre à l’arrivée d’une bande d’orques affamés (surprenant!).
Les poissons clupéoides (sous-ordre dont les harengs ont le privilège de faire partie) ont une ouïe excellente, capable de détecter les ultrasons, ce qui pourraient leur servir pour surprendre les conversations des orques avant leur arrivée au restau. En effet, leur vessie natatoire est reliée à leur oreille interne, ce qui facilite la détection des signaux acoustiques.
Wilson s’amuse donc à passer des enregistrements de cétacés ondotocètes comme les orques, et voit ce qu’il se passe (en prenant le soin de séparer les harengs en plusieurs groupes, dont un groupe contrôle sans enregistrement, et un autre avec un enregistrement d’une autre nature).
Et là, bingo, les harengs n’ont pas trop l’air d’aimer ce genre de musique. Ils montrent des signes d’agitation et se déplacent en masse vers le bas de la colonne d’eau. [3]
Ok, on a donc vu que les harengs produisaient des bulles et n’aimaient pas les orques. Mais peut-on vraiment parler de flatulences de harengs? Et les harengs “pètent” ils de façon volontaire?
Une vessie qui sert pas à faire pipi
Pour répondre à ces questions, il faut d’abord faire un point rapide sur le fonctionnement de la vessie natatoire chez les poissons.
La vessie natatoire, c’est un organe qu’on retrouve chez les poissons osseux (donc les requins et autres raies en sont dépourvus), qui est une sorte de sac situé dans l’abdomen, sous la colonne vertébrale, et dont la position exacte varie selon les espèces.
Elle se forme durant l’embryogenèse à partir de l’œsophage, auquel elle est reliée initialement par un canal pneumatique. Chez les poissons dits physostomes, comme les harengs, ce canal perdure à l’âge adulte. Chez les autres, bah il perdure pas (bien vu l’aveugle).
Si vous avez déjà fait de la plongée bouteille, vous allez vite comprendre à quoi ça sert. Ça correspond un peu au gilet stabilisateur, qu’on peut remplir d’air ou bien vider selon la profondeur à laquelle on se trouve. En gros, plus on va profond, et plus il y a de pression (c’est que ça pèse toute cette eau au dessus de votre tête), et au contraire, plus on s’approche de la surface, plus la pression diminue (au niveau de la mer la pression absolue est d’environ 1 bar, c’est la pression de l’atmosphère).
Si vous changez de profondeur et ne faîtes rien, ces changement de pression vont affecter votre flottabilité, et vous allez soit vous mettre à couler, soit à flotter, selon le cas. Comme ça peut être sympathique de contrôler ça sans galérer à nager dans un sens ou dans l’autre et se fatiguer, les poissons ont développé au cours de l’évolution un sac qui se remplit d’air et dont le volume peut être modifié : c’est la vessie natatoire.
Attention : la prochaine fois que vous irez à la piscine, inutile d’essayer de modifier votre flottabilité en vidant le contenu de votre vessie autour des autres baigneurs, ça ne marche pas!
Une mitraillette à bulles
Ok maintenant que vous êtes à jour, reprenons notre histoire de harengs.
En 2002, Wahlberg note que chez ces poissons, la vessie est reliée à la fois à l’œsophage et à l’anus [4]. Les harengs ne produisent apparemment pas de gaz au sein de leur vessie natatoire, comme le font bon nombre de poissons, mais avalent de l’air à la surface avant de l’acheminer jusqu’à leur vessie via le fameux canal pneumatique.
Les harengs ne pètent donc pas à proprement parler!
En soumettant des harengs qui n’avaient rien demandé à des changements de pression externe les poissons ont produit des bulles, dont la fréquence, la durée et l’amplitude ont été précisément mesurées.
Aucun autre animal marin connu à ce jour ne produit de telles rafales de bulles.
Une communication pas très distinguée
En 2004, une bande de chercheurs reçoit le prix Nobel IG, qui récompense chaque année des travaux “qui font rire puis réfléchir”, pour leur étude sur la communication par bulles des harengs Atlantique et Pacifique. [5]
Les rafales de bulles sortant de leur anus ont été pour le coup renommées Fast Repetitive Ticks, ou FRT (les anglophones comprendront la petite blague).
Des expériences menées sur des harengs sauvages capturés confirmèrent que l’air sortant de la vessie natatoire avait été avalé en surface puis stocké, mais surtout qu’il existait une très forte corrélation entre la quantité de bulles produites et la quantité d’individus se côtoyant.
En d’autres termes, plus il y a du monde, et plus ça gaze chez les harengs.
Les FRT ont en général une fréquence voisine de 2 kHz, ce qui est inaudible pour un grand nombre de poissons prédateurs, mais reste tout à fait détectable par des cétacés tels que les orques ou les dauphins.
Il semble donc peu probable que les FRT servent de signaux d’alarmes ou soient liés à la reproduction (les harengs n’étaient en période de reproduction lors de ces expériences).
En revanche, il est possible qu’ils servent de signaux de contact et facilitent le regroupement et la cohésion des bancs.
En conclusion
Pour résumer, les harengs dégagent bien des masses de bulles, surtout lorsqu’ils sont rassemblés, ou se déplacent verticalement, sous la pression de prédateurs ou non.
Il est possible que ces bulles, en plus de jouer un rôle dans la régulation de leur flottabilité et de se protéger des attaques, servent à communiquer entre individus, sans doute simplement pour signaler leur présence entre eux (genre “coucou, prout prout, je suis là”).
Envie d’aller plus loin?
Vous vous attendiez à lire un truc bien sale avec des harengs qui pètent à foison et sans vergogne, et vous êtes déçu.e ?
Rassurez-vous, j’ai pensé à vous, et en vidéo !
Même s’ils ne pètent pas à proprement parler, les harengs font un truc bien abusé quand même pendant leur période de reproduction.
Les femelles viennent poser des milliards d’œufs sur les algues près des rivages, puis les mâles libèrent tranquillement leur sperme dans l’eau, à tel point que la mer devient blanchâtre durant la période de frai.