Top départ
Près de la moitié des espèces d’oiseaux font partie du club des oiseaux migrateurs. Chaque année, ce sont près de 50 milliards d’oiseaux qui prennent leur envol à la recherche de contrées plus accueillantes [1]. Mais tous ne sont pas égaux en terme de distances parcourues : si certains de nos oiseaux d’Europe se limitent à un “petit aller-retour” de quelques milliers de km en Afrique chaque année, d’autres sont plutôt des adeptes du marathon version extrême.
Comment les oiseaux migrateurs décident-ils de commencer leur périple? La décision semble être provoquée par l’influence de facteurs environnementaux externes (chute de la température, durée d’ensoleillement, raréfaction des ressources alimentaires…) qui déclenchent la sécrétion de certaines hormones, qui vont donner aux oiseaux cette envie irrésistible de partir. Rien de très surprenant là-dedans, quand on sait l’influence qu’ont les hormones sur nos comportements de façon générale.
La migratrice aux multiples records
La Sterne Arctique, un oiseau à l’allure d’hirondelle d’à peine 100g, détient le record de la plus longue migration. Elle part de l’Arctique (Canada, Sibérie, Scandinavie…) et descend jusqu’en Antarctique quand l’hiver arrive.
La distance théorique est de 35 000 km aller-retour, mais en pratique, avec les zig-zags effectués, un suivi GPS a révélé qu’elle parcourt entre 70 000 et 90 000 km chaque année. Pour rappel, notre planète fait 40 000 km de circonférence!
Pas mal pour un petit oiseau qui peut vivre plus de 30 ans!
Des indices cachés dans l’ADN
Une fois le périple entamé, comment les oiseaux savent-ils la direction à prendre? Un tas d’outils sont à leur disposition comme nous allons le voir ci-dessous, mais il semble que certains gènes jouent aussi un rôle important.
Des chercheurs ont mis en évidence en 2011 que le gène ADCYAP1 détermine d’une certaine façon la direction de la migration chez la fauvette à tête noire [2]. Ce gène pourrait avoir aussi son importance dans le déclenchement ou la suspension de la phase de migration.
Outil n°1 : création d’une carte mentale
Imaginez un instant : vous débarquez dans une ville inconnue, et après avoir posé vos affaires à l’hôtel, vous décidez d’aller vous promener, sans utiliser votre smartphone pour vous orienter. Vous traversez des rues, tournez à droite à gauche, et marchez un bon moment dans tous les sens.
Si vous avez été assez malin, vous avez probablement pris quelques points de repères sur la route pour vous aider à effectuer le chemin inverse (un magasin de bricolage, un parc pour enfants, un tags sur un mur…). Vous avez créé une sorte de carte mentale de votre parcours.
Les oiseaux font exactement la même chose. Ils peuvent prendre pour points de repère des constructions humaines (églises, ponts, routes) ou naturelles, mais aussi certains points d’intérêt comme des sources de nourriture. Ces souvenirs sont stockés dans leur hippocampe (cette partie du cerveau liée à l’orientation que l’on retrouve chez un grand nombre d’animaux).
Sauf que…
C’est bien joli de mémoriser quelques points de repère autour de chez vous, mais quand votre promenade fait plusieurs milliers de km, ça se complique. Les oiseaux migrateurs utilisent donc d’autres outils pour ne pas se perdre.
Lorsqu’ils sont à proximité de leur nid, ils font appel à la carte mentale stockée dans leur cerveau en complément de leur GPS physiologique [3], et la délaissent complètement une fois loin.
Outil n°2 : Merci le Soleil!
Un moyen bien pratique pour s’orienter consiste à se référer à la position du Soleil dans le ciel.
Les oiseaux sont sensibles à l’intensité lumineuse disponible, et repèrent la position azimutale du soleil (c’est à dire sa position au-dessus de l’horizon, son altitude n’ayant pas d’importance). En combinant la position du soleil avec une horloge interne, les oiseaux sont capables de s’orienter.
Par exemple, si je vous dis que pour vous rendre chez moi, il faut marcher 2 km vers l’ouest, vous marcherez vers le soleil ou du côté opposé, selon qu’on est le soir ou le matin.
Et les oiseaux possèdent pas moins de 3 horloges internes (ou circadiennes) : dans la rétine, dans la glande pinéale et dans l’hypothalamus.
Cette technique de navigation a été mise en évidence dès 1950 par un scientifique allemand du nom de Gustave Kramer [4]. En enfermant des oiseaux dans des pièces étanches à la lumière solaire, on les déphase de 6 heures par rapport à la réalité. Une fois libérés, il décalent leur trajectoire de 90° par rapport aux oiseaux non décalés.
Pourquoi?
Imaginons qu’ils cherchent à aller vers le sud, et qu’on les relâche à midi. Les oiseaux non décalés savent qu’il est midi et que le soleil se trouve au sud, ils vont donc voler dans sa direction, et ils auront raison.
Mais les autres croient qu’il est 18h, et donc que le soleil est situé à l’ouest. Il vont en conséquent garder le soleil sur leur droite et partir dans la mauvaise direction.
Outil n°3: la boussole stellaire
C’est bien gentil de posséder une boussole solaire, mais comment on fait quand la nuit tombe? On utilise ses connaissances en astronomie bien sûr!
Le système d’orientation par les astres des oiseaux demande des capacités cognitives très avancées. Il semble en effet que durant leur jeunesse, avant d’effectuer leur première migration, les oiseaux observent le ciel nocturne et repèrent sa lente rotation par rapport à un point fixe (qui correspond au nord magnétique dans l’hémisphère nord, et au sud magnétique dans l’hémisphère sud). [5]
Mais les oiseaux ne se contentent pas de savoir repérer l’étoile polaire. Ils retiennent certaines constellations et leurs positions relatives par rapport aux pôles. Ils sont ainsi capables de retrouver le nord (ou le sud) sans avoir besoin d’une indication temporelle, ni même d’apercevoir l’étoile polaire (qui d’ailleurs devient invisible passée une certaine latitude).
Cette caractéristique de l’apprentissage des constellations a été mise en évidence par Emlen en 1967 [6]: en plaçant des oiseaux dans des planétariums et en faisant tourner le ciel autour de l’étoile Betelgeuse plutôt qu’autour de l’étoile polaire, il a perturbé leur système d’orientation nocturne. De faux ciels comportant seulement 16 étoiles ont aussi été utilisés, et les oiseaux ont appris à s’orienter selon ce modèle avec succès.
Outil n°4: la fameuse boussole magnétique
Il peut paraître évident à tous aujourd’hui que les oiseaux utilisent le champ magnétique terrestre pour s’orienter, mais ça n’a pas toujours été le cas.
Avant sa mise en évidence dans les années 70 [7], la théorie de la boussole magnétique était considérée comme farfelue au sein de la communauté scientifique, et relevant du mysticisme. Probablement parce que nous autres humains en sommes dépourvus!
On sait à présent que bien des animaux possèdent un système de boussole magnétique, parmi lesquels des amphibiens, des tortues, des poissons osseux et même certains mammifères. [5]
On a démontré l’existence de ce sens en exposant des oiseaux en cage à des champs magnétiques décalés par rapport à celui de la Terre, ainsi qu’en attachant des aimants sur des pigeons avant de les relâcher par temps nuageux : il leur devenait très compliqué de retrouver leur chemin.
Mais comment fonctionne ce sens incroyable ??
Deux mécanismes semblent être à l’œuvre…
D’une part, grâce à la présence d’un certain type de protéines, sensibles au champ magnétique : les cryptochromes. Elles sont synthétisées par le gène Cry4 dans la rétine des oiseaux [8]. Sensibles à la lumière bleue, et pourraient permettre à l’oiseau de déduire la direction des lignes de champ magnétique (pour plus de détail sur le mécanisme, voir [9], pp 241-243).
Mais le plus surprenant dans tout ça, c’est que les oiseaux voient littéralement le champ géomagnétique. Probablement un peu à la manière d’un filtre additionnel qui se rajoute à leur vision normale (voir ci-dessous).
D’autre part, on a découvert chez les oiseaux la présence de matériaux magnétorecepteurs tels que la magnétite, localisés dans leurs becs (sous la peau au niveau de la zone supérieure ainsi que dans la cavité nasale).
Ces matériaux jouent le rôle de micro-aimants, et renseignent les oiseaux sur l’intensité et la position du champ magnétique terrestre [10]. C’est via la branche ophtalmique du nerf trijumeau que ces informations sont ensuite envoyées au cerveau.
Ce mécanisme semble être indépendant du système de détection du champ magnétique des cryptochromes.
En résumé
- Les oiseaux sont dotés de capacités de navigation high tech qui relèguent nos GPS au rang de technologies préhistoriques.
- En plus de leur mémoire spatiale et de la construction d’une carte mentale de la zone avoisinant leur nid, ils utilisent conjointement une boussole solaire, une boussole stellaire, et voient littéralement le champ magnétique terrestre, en plus de ressentir son intensité.
- En même temps, quand on voit les distances monstrueuses qu’ils engloutissent chaque année en réussissant à retrouver l’emplacement de leur nid des mois plus tard, on se dit que c’est un investissement vite amorti…